Le double objectif de ce programme d'envergure est de faire en sorte que l'île devienne non seulement une base de développement pour les entreprises locales, mais aussi un tremplin pour les pays d'Amérique du Nord et d'Europe se tournant vers les marchés asiatiques, en Asie du Sud-Est et en Chine en particulier.
Par ailleurs, comme ce projet concentre l'attention sur les lois et règlements limitant l'entrée et la sortie des personnes, des capitaux et des marchandises, l'on espère qu'il permettra d'accélérer la libéralisation de l'économie taiwanaise. Un cadre légal plus souple, une position stratégique excellente, un marché intérieur solide et un tissu industriel dense et complet, voilà qui devrait augmenter le pouvoir de séduction de Taiwan auprès des investisseurs.
Ceux-ci peuvent déjà bénéficier de l'assistance d'un bureau spécialement créé pour eux ─ la « Vitrine » de l'APROC ─ et placé sous le contrôle de d'Etat de et du Développement économiques (CEPD). Situé dans la capitale, ce service aide les industriels à réduire la paperasserie, et coordonne les efforts des agences gouvernementales et des ministères impliqués dans la mise en œuvre du projet. C'est Lawrence Liu, un brillant avocat de Taipei, qui a été choisi comme directeur exécutif de « Pour que le projet de l'APROC fonctionne, nous essayons de nous concentrer sur la division du travail entre le secteur privé et le gouvernement », dit-il. « Il faut assouplir la réglementation et laisser le marché s'auto-réguler par le jeu de la libre-concurrence. »
rassemble un certain nombre de services administratifs sous le même toit, une approche qui permet aux investisseurs et aux hommes d'affaires de simplifier leurs démarches. Ils peuvent y bénéficier de services de conseil. participe également à l'organisation de missions de promotion à l'étranger. Enfin, elle travaille à l'adaptation du cadre légal aux exigences des différents domaines d'activités économiques.
Si le projet prévoit de nombreux plans de développement des infrastructures, il réserve la priorité à ce que certains appellent parfois « la réforme du software » : en clair, la réforme de la politique économique et de la réglementation. « Si nous procédons aux bons ajustements macro-économiques, Taiwan peut devenir un centre régional dans de nombreux domaines », dit Jonna Chen, qui est responsable de la section coordination et services de de l'APROC. « Si nous ne nous concentrons que sur le développement structurel des domaines d'activités pris séparément, sans adapter l'environnement économique général de l'île, Taiwan ne parviendra sans doute pas à ses fins. »
Chen Ping-hsun. La Société des Télécommunications de Taiwan expose fièrement ses nouveaux équipements lors d'un salon commercial. Les hommes d'affaires préféreraient sans doute discuter de la réduction des tarifs, de l'accélération des services et de la libéralisation du secteur.
En avril dernier, après avoir consulté l'équipe de , le premier ministre, M. Lien Chan, a posé cinq principes directeurs pour le « réajustement macro-économique » de Taiwan :
- Le gouvernement doit adopter une politique économique libérale, au lieu de se contenter d'une politique de soutien à l'industrie locale, en réduisant les barrières à l'entrée et en abandonnant les règlements et les pratiques protectionnistes.
- La politique économique du gouvernement doit être favorable au monde des affaires et constructive, et non pas étroitement réglementée et contraignante.
- Le gouvernement ne doit pas être en même temps un organe régulateur du marché et l'un de ses acteurs.
- Les entreprises doivent être autorisées à réglementer elles-mêmes leurs propres activités en accord avec la législation de de Chine plutôt que d'avoir constamment à soumettre des dossiers au gouvernement pour approbation. Un tel changement de procédure permettrait d'alléger la charge du gouvernement, d'accroître son efficacité et de faire évoluer son rôle, de celui de régulateur de l'industrie à celui de superviseur.
- La réglementation doit être transparente. En d'autres termes, les droits et les devoirs de tous les acteurs, y compris le gouvernement, doivent être clairement définis.
Si ces principes sont appliqués avec rigueur, l'environnement économique insulaire, s'améliorera de façon appréciable. Néanmoins, cette liste de principes de base donne une idée de la hauteur des barrières à surmonter pour assurer la réussite du projet. « Taiwan est à plusieurs titres un site excellent pour les activités économiques, mais l'on rencontre quand même des difficultés lorsque l'on fait des affaires ici », dit John Weston, le co-président du comité des entreprises de de commerce américaine. Cet avocat américain, qui travaille comme consultant à Taipei, aide de nombreux clients à résoudre les problèmes qu'ils rencontrent pour obtenir un visa et un permis de travail.
Il est intéressant de noter, explique-t-il, que d'après la législation du travail en vigueur en République de Chine, au moins onze départements ou ministères se partagent les pouvoirs, en ce qui concerne la délivrance d'un permis de travail. Celui-ci sera par exemple délivré par le ministère du Transport et des Télécommunications (MOTC) pour un ingénieur spécialisé dans les télécommunications, alors que celui d'un directeur de banque le sera par le ministère des Finances (MOF).
Il est donc souvent très difficile pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le système de déterminer à quel ministère ou à quel département s'adresser. Les choses se compliquent encore si deux agences gouvernementales se déclarent compétentes, ou si chacune d'entre elles estime que l'autre devrait assumer la responsabilité de l'affaire. L'administration elle-même est mécontente du système actuel. « C'est un véritable capharnaüm », dit Lawrence Liu. « Honnêtement, nulle part ailleurs je n'ai vu un tel système, et étant donné nos ambitions de développement, je ne pense pas qu'il puisse être conservé. »
La réforme de la réglementation n'est pas seulement stimulée par la compétition économique internationale. Taiwan est elle-même au cœur d'un grand mouvement de libéralisation orchestré par le gouvernement, et dont la partie économique n'est qu'une dimension parmi d'autres. Non seulement Taiwan réinvente son économie, mais elle fait également des pas de géant dans la libéralisation dans les domaines social, politique et culturel, et ces dimensions-là elles aussi participent de l'effort de séduction à l'intention des entreprises étrangères. Quoi qu'il en soit, pour rester compétitive par rapport aux autres zones économiques régionales, l'allégement des procédures administratives est une priorité. Par exemple, les sociétés transnationales sont soumises à de plus lourds impôts et à de plus grandes limitations en ce qui concerne les mouvements de capitaux à Taiwan qu'à Singapour ou à Hongkong. « Il est clair que les limitations excessives mises en place par le gouvernement entraînent de nombreux problèmes », dit Jonna Chen. « La solution est la déréglementation. »
Mme Chen n'est pas la seule à dénoncer la surréglementation. « C'est comme un enfant dont les habits sont trop petits parce qu'il a grandi », dit l'économiste Tu Jenn-hwa, qui enseigne à l'université nationale de Taiwan. « Ces vieux vêtements sont devenus une entrave à la croissance d'un système économique libéralisé, et le projet de l'APROC donne la possibilité de s'en débarrasser. »
Membre d'une équipe de recherche mise sur pied par le ministère de l'Economie (MOEA), M. Tu a participé à l'évaluation de la faisabilité de l'APROC. Il a discuté du projet avec des représentants de vingt-neuf sociétés locales et étrangères, dont Acer, T&T, Federal Express, Whirlpool et Fuji-Xerox. « Ces sociétés reconnaissent en général à Taiwan une grande capacité dans le domaine de la recherche et du développement, et un potentiel de croissance intéressant pour ses industries manufacturières à forte valeur ajoutée », dit M. Tu. « Par ailleurs, la quasi-totalité de ces sociétés identifient la bureaucratie, le manque d'efficacité de l'administration, et l'obsolescence des lois et de la réglementation comme les plus grands obstacles à l'internationalisation et à la libéralisation de Taiwan. »
Chang Su-ching. Les banquiers étrangers ont quelques suggestions pour les responsables de l'APROC : ils leur conseillent par exemple de développer le marché des changes en étendant la gamme des transactions possibles et en facilitant l'introduction des banques étrangères sur les marchés financiers de l'île.
Afin de faciliter la révision de la réglementation, le personnel de de l'APROC a classé comme hautement prioritaires plus d'une quarantaine de lois et une centaine de règlements. Ces lois et règlements ont été répartis en deux trains de réforme, et présentés au Yuan législatif. Un premier groupe de vingt-neuf propositions de révisions devrait passer sous peu en dernière lecture au Yuan législatif. Il est trop tôt pour présager du sort des autres suggestions, car les élections législatives de décembre dernier auront sans aucun doute une influence sur le travail des députés.
Les membres de l'équipe de travaillent sans relâche. L'année dernière par exemple, au terme de la première session du Yuan législatif, ils ont fait soixante-sept présentations orales en l'espace d'un mois à l'intention des députés et de leurs assistants. « Nous ne pouvons pas influer sur les priorités politiques ou autres du Yuan législatif », dit Mme Chen. « Tout ce que nous pouvons faire, c'est expliquer les problèmes techniques ou pratiques, afin que les députés n'aient pas à passer trop de temps à en discuter dans les comités ou dans les assemblées générales du Yuan législatif. »
Bien que six projets de révision seulement aient été adoptés à la fin de la dernière session, les députés ont apparemment accueilli positivement les suggestions de « Ces révisions amélioreront les conditions d'investissement à Taiwan », dit Jonna Chen. « Cela veut dire que le gouvernement aura moins de responsabilités et que le marché sera moins réglementé, et c'est exactement ce qu'appellent de leurs vœux la plupart des députés. »
Si les opinions des députés divergent sur la plupart des projets de révision, il existe d'autres raisons au ralentissement de la procédure législative. « Nous avons été plutôt rapides à adopter ces projets de révision concernant l'APROC, contrairement à bien d'autres cas », dit Hung Chao-nan, le député du Kuomintang qui a poussé les propositions relatives à l'APROC. « Mais pour être honnête, nous n'avons pas eu beaucoup de projets de révision à traiter, parce que nombre d'entre eux étaient bloqués au niveau du Yuan exécutif. » Pour accélérer les procédures, Hung a suggéré que de l'APROC lui transmette directement les cas les plus simples, pour qu'il les présente lui-même aux députés pour délibération. Il souligne que sur les six projets qui ont suivi cette procédure, un a déjà été adopté, et les cinq autres sont en cours de relecture par le comité. « C'est beaucoup plus rapide de cette façon, parce que les projets de révision n'ont pas à attendre pendant des mois avant d'être adoptés par le Yuan exécutif », explique le député.
M. Hung remarque que certains textes ont tout de même à surmonter de gros obstacles ─ des obstacles plus souvent politiques que techniques ─ au Yuan législatif. Il en est par exemple ainsi de trois projets de révision concernant les télécommunications, qui sont en phase de délibération, et qui aboutiraient à la privatisation des télécommunications, un secteur jusqu'ici géré par l'Etat. Le syndicat de ce secteur s'oppose au projet de privatisation parce qu'il entraînerait des réductions de personnel. Comme les milliers d'employés syndiqués sont également des électeurs potentiels, de nombreux députés prêtent une oreille attentive à leurs problèmes. « A chaque fois que ces trois textes de lois sont ramenés sur le tapis, il y a des manifestations et des protestations », dit Hung Chao-nan. « Cela va être difficile dans ce cas particulier. Mais pour la plupart des autres projets, je ne vois guère d'obstacles. »
Les ajustements macro-économiques dépendent souvent de l'efficacité de l'administration. Bien que les lois définissent clairement les pouvoirs et les responsabilités des différentes administrations, explique Jonna Chen, l'accélération des procédures administratives repose largement sur les administrations elles-mêmes, ou même, individuellement, sur les fonctionnaires appartenant à ces administrations. Comme le fait d'avoir le soutien de la fonction publique peut permettre de diminuer les délais, l'équipe de de l'APROC défend également directement son projet auprès des administrations concernées. « La question fondamentale n'est pas ce que le public pense du projet », dit Mme Chen. « Ce qui compte, c'est ce qu'en pensent les fonctionnaires, et s'ils travailleront efficacement à sa mise en place. »
Chen Ping-hsun. Un contrôle de routine des installations, au centre téléphonique de Taipei. Lorsque le gouvernement aura relâché son étreinte sur l'industrie des télécommunications, le marché pourra proposer des technologies plus avancées et des services plus complets.
Les encouragements viennent des plus hautes sphères. Depuis plusieurs mois, le président de , M. Lee Teng-hui, le premier ministre, M. Lien Chan, ainsi qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires, appellent le personnel de la fonction publique à mettre en œuvre les réformes administratives afin que l'environnement économique et commercial insulaire devienne plus attractif. « Je pense que le plus important est de changer la façon de voir des bureaucrates », dit Lawrence Liu. « Il faut qu'ils raisonnent en termes de résultats à atteindre. »
La réaction de l'administration reste cependant mitigée. « Je ne pense pas qu'il soit possible pour Taiwan de devenir un centre d'activités économiques régional », dit un employé du gouvernement qui travaille sur l'un des six domaines de l'APROC. « Honnêtement, je pense que le projet tient plus du mot d'ordre politique que de l'ébauche économique. » Que cette opinion soit représentative ou non, elle suggère la nécessité d'expliquer le projet de façon plus détaillée. M. Tu Jenn-hwa estime qu'il faut susciter plus d'enthousiasme. « Le CEPD et les hauts fonctionnaires des autres administrations concernées sont réellement motivés, mais pour autant que je sache, de nombreux fonctionnaires ont encore une mauvaise compréhension du sujet, et quant aux subalternes, ils ne connaissent le projet que de nom », affirme M. Tu.
Une des raisons à cette attitude des fonctionnaires est à chercher dans la fonction publique, dit l'économiste. « La création d'un pôle d'activités économiques régional requiert une fonction publique d'excellence, qui puisse fournir des services administratifs de qualité », dit M. Tu. « En comparaison avec Hongkong ou Singapour, nous offrons des salaires de troisième zone pour recruter des employés de seconde catégorie. » Il explique qu'à Taiwan, le salaire d'un fonctionnaire de haut rang est souvent équivalent au tiers ou à la moitié seulement de celui qu'il se verrait offrir dans le secteur privé. En conséquence, beaucoup rejoignent le secteur privé après avoir acquis une expérience dans l'administration.
Depuis que l'idée de l'APROC est apparue, de nombreuses organisations locales et étrangères ont évalué les chances de Taiwan de devenir un pôle régional d'activités économiques. Bien qu'elle soit souvent classée dans les enquêtes économiques internationales parmi les pays où les investissements sont les moins risqués, Taiwan a reçu de moins bonnes notes que Hongkong et Singapour en ce qui concerne l'efficacité de l'administration et l'environnement macro-économique. D'après le Rapport sur la compétitivité mondiale pour l'année 1995 publié par l'Institut pour le développement du management (IMD) et le Forum économique mondial, basés en Suisse, Taiwan se plaçait l'année dernière au 28e rang pour les télécommunications, un élément pourtant fondamental pour un centre d'activités économiques régional. A cet égard, Taiwan était loin derrière Hongkong, Singapour et ce même rapport, Taiwan faisait cependant un bond dans le classement général, passant de la 18e place en 1994 à la 11e place en 1995. Certains observateurs voient là un signe de l'optimisme croissant des hommes d'affaires vis-à-vis des perspectives économiques de l'île.
Chen Ping-hsun. La libéralisation du marché financier donnera une meilleure assise au projet de l'APROC. Entre autres mesures, on attend l'augmentation du nombre d'actions et de valeurs que peuvent posséder les investisseurs étrangers à la Bourse de Taiwan.
L'équipe de appelle à la patience, en expliquant que le projet n'en est qu'à sa phase initiale, et que Taiwan ne peut donc pas susciter immédiatement l'intérêt des sociétés multinationales pour le centre économique régional qu'elle entend devenir. « Les grandes entreprises suivent leurs propres programmes de développement », note Jonna Chen. « Elles ne vont pas modifier leurs projets uniquement parce que Taiwan a annoncé il y a un mois ou deux qu'elle voulait se transformer en centre d'activités économiques. »
Malgré tout, l'évolution économique de la région ouvre des perspectives à long terme pour Taiwan. Comme le marché de l'Asie-Pacifique croît trop rapidement pour que les centres existants ─ tels que Hongkong, Singapour et Tokyo ─ en assumant la totalité, des centres supplémentaires seront nécessaires pour soutenir cette croissance. « Taiwan livre actuellement bataille contre Singapour, Shanghai et d'autres places économiques pour la création du pôle d'activités économiques de la région », dit John Weston.
Bien que Taiwan possède de nombreux atouts ─ en particulier une bonne situation géographique et une industrie plus solide que celles de Hongkong et de Singapour ─ le succès de l'APROC semble au bout du compte dépendre du gouvernement lui-même. « Taiwan aura toutes ses chances si la réforme de la législation aboutit », dit Tu Jenn-hwa. « Mais si le projet de l'APROC reste bloqué au niveau du gouvernement au lieu de passer par le Yuan législatif et d'être mis en application, il finira par sombrer dans l'oubli. »
Jim Hwang
(v.f. Laurence Marcout)